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Eloge de l’Utopie : un voyage personnel

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Si l’on me demandait de me définir, je choisirais le terme « utopique », et je suis fière de l’embrasser ! Cette utopie qui guide ma vie au quotidien, qui se confronte souvent aux épreuves, parfois difficiles à assimiler, et qui pourtant demeure, pour une éternelle utopie, d’une grande violence. « Tu sais, la vie n’est pas simple. » Quelle horrible phrase, souvent prononcée pour consoler face aux déceptions, aux chagrins, aux frustrations, aux douleurs ! Une expression dénuée de sens. La vie peut être violente, certes, mais je refuse de croire en cette violence intrinsèque. Est-ce vraiment la vie qui est violente, ou est-ce la nature des interactions sociales qui lui confère cette violence ?

Les sciences de la communication : mon plus beau destin

Aujourd’hui, grâce à mes longues études en communication, j’ai pu expliquer, par l’approche systémique, l’origine de la violence et les moyens d’y remédier. Ironiquement, les sciences de la communication ont émergé dans le contexte violent de la Seconde Guerre mondiale, une observation fascinante. Mes choix universitaires et professionnels ont instinctivement convergé vers une discipline qui m’a offert réconfort et explications. Un destin singulier.

Norbert Wiener, le mathématicien philosophe vénéré par tous les communicants, a analysé l’échec de l’humanité et l’explosion de la barbarie après l’utilisation de la bombe atomique. Le monde n’a pas su coexister : c’est l’ère de l’incommunication qui nous précipite dans les pires scénarios de violence. La cybernétique a alors émergé dans les années 40, construisant une hypothèse utopique : Et si une communication améliorée nous épargnait toutes formes de crises ?

Remontant encore à mes souvenirs, je réalise que mon imaginaire est structuré par des paroles d’un célèbre artiste syrien, souvent chantées par mon père : « La vie est belle, délicieuse pour celui qui la comprend ». Toute la philosophie de la vie est encapsulée dans une mélodie.

Cette utopie continue à me guider, à me permettre de respirer, à m’insuffler de l’espoir, m’incitant à m’isoler pour la protéger.

J’ai longtemps vécu avec l’envie d’être seule avec mes livres, mes archives, mes musiques, mes films, mes crayons, mes feuilles et mes chats ! Une solitude positive qui me permet de vivre intensément les relations sociales.

J’ai toujours rêvé d’être l’éternelle chercheuse qui essaye de comprendre la pensée des grands artistes, écrivains, philosophes, et à restituer avec agilité une pensée qui me fait grandir. J’avais une pensée hybride, une pensée boulimique. J’ai toujours rêvé d’intensité, d’établir le désordre apparent, de trouver du sens dans tout ce que je lisais, écoutais, observais … et pour cela, il me fallait du temps, beaucoup de temps !

Grandir avec père artisan couturier, c’est comment ?

Image d'archive père de Faouzia
Khalifa Rejeb, père de la créatrice de Mashup Culture dans les années 60 ' - Tunisie - Source : Archive familiale

Née dans une famille modeste, j’ai transformé les choses ordinaires en « extraordinaire », comme diraient mes enseignants du lycée. J’explorais tout ce que je trouvais dans mon environnement, absolument tout !

Mon père était un artisan couturier, et j’étais très proche de lui. Aujourd’hui, avec le recul, je dirai que j’avais une relation presque fusionnelle avec lui. Plus j’avançais dans les études, plus notre relation se consolidait et se nourrissait. Sa passion pour l’exceptionnel, le raffiné dans la banalité, a marqué mon approche de la vie. Je l’ai suivi dans son atelier de couture, et il me confiait ses grands ciseaux dont il est toujours fier. Je tentais de couper quelques morceaux de tissus ; chose impossible pour mes petites mains. Il éclatait de rire, de fierté et répliquait : « Tu sais, cette paire de ciseaux est hors norme ! » Papa aimait l’exceptionnel et le raffiné dans tout. Ces choses qui paraissaient d’une grande banalité, en l’occurrence ses paires de ciseaux, sont pour lui une marque d’une extrême richesse et le symbole de son métier artistique.

Il faut donc du talent pour utiliser cette paire de ciseaux ; un talent dont il était fier. Papa les gardait jusqu’à présent à ses 80 ans ainsi que sa machine à coudre achetée dans les années 60’. Cette fameuse machine à coudre qui lui a coûté une fortune. Elle est d’origine allemande, et papa apprécie les Allemands pour leur rigueur. Il les apprécie tellement que, plus tard, il m’a encouragé à apprendre l’allemand, une langue proposée comme un 3ème choix facultatif au lycée.

Il était fier et venait me chercher à la fin des cours avec un grand sourire : alors c’était bien ? dommage moi je ne pourrai plus revenir à l’école.

Avec le temps, je comprends que papa a vécu par transposition ses profondes envies d’apprendre et de s’instruire. Il ne m’a jamais imposé des choix, mais il m’a éclairée, lui qui n’a jamais dépassé l’école primaire. Il avait une vision idéaliste des intellectuels. Il me disait que grâce à eux, on avance et on enrichit notre esprit. Les intellectuels sont importants pour les hommes politiques. Un homme politique, s’il n’est pas entouré par des vrais intellectuels, s’il n’a pas fait des grandes études, est un homme politique qui amène à la déchéance son peuple. Alors papa aime par exemple Charles De Gaulle. C’est une référence pour lui, il aime la voix posée de De Gaulle, sa diction, le choix de son vocabulaire, sa posture… et ça lui arrive de jouer à l’imiter. Aujourd’hui, on appelle cela l‘art oratoire, la prise de parole en public, des soft skills. Aujourd’hui et à mon tour je les enseigne. Drôle de hasard. Papa aime les personnes à fort caractère, surtout les femmes à caractère, puissantes et intellectuelles, raffinées et intelligentes.

La passion de l’image et du journalisme

Papa aimait aussi le métier de journaliste, il trouve qu’ils sont curieux et indispensables pour nous. Ce métier le fascine car grâce à eux il apprend énormément et développe ses capacités analytiques. Alors, il lisait beaucoup les journaux et écoutait beaucoup la radio. 

Papa collectionnait les journaux. Il ne les jetait pas. Il refusait de les jeter dans la poubelle par respect au travail des journalistes. 

Il a carrément installé dans son atelier, plus tard et avec l’arrivée des paraboles en Tunisie, un poste de télévision. Il était heureux car, sur certaines chaînes, il revoit ses films cultes et les grands classiques du cinéma arabe et les comédies de Louis de Funès.

Papa est un amoureux du cinéma, il respire l’image, les jeux d’acteurs, retient les répliques qui le touchent. Il arrive à me raconter un film séquence par séquence avec la restitution de la signification derrière. Ce que nous appelons aujourd’hui : la dénotation et la connotation, chères à tous les amoureux de Roland Barthes. À mon tour, j’enseigne cette magnifique discipline : la sémiologie de l’image. Je l’enseigne à chaque fois avec une charge émotionnelle très intense.

Dans les années 60, Papa a fait un choix ; celui d’ouvrir son premier atelier, face à une salle de cinéma. Quel choix en effet ! Alors après son travail, il part regarder un film ou deux ! il était ami avec les projecteurs et les accompagnait pour afficher les nouveaux films de la semaine et tester la bobine avant projection le jour J. Alors, il profitait à fond de cette exclusivité. Le sens du relationnel ? oui mais surtout c’est le sens de partage qui l’anime, le plaisir d’aider, de se sentir utile. Papa est une personne toujours partante : partante à aider, partante à écouter, partante à partager les joies et les tristesses des gens.

Mon grand frère qui avait, fin des années 60’, 6 ans, profitait lui aussi de cette chance. Oui j’appelle cela une énorme chance dont mon frère est aujourd’hui pleinement conscient et reconnaissant. Il a pu regarder tous les films de l’époque seul dans une grande salle de cinéma. Le Luxe ! Alors comment ? Papa demandait aux projecteurs de garder mon frère le temps de gérer une urgence ou aller voir un client. La salle de cinéma était un lieu de garde … de mon frère ! et il en a bien profité. Il courait direct pour s’asseoir au premier rang et suivait les tests de projection des films : c’était l’époque des westerns. Devenu adulte, mon frère a une affection toute particulière pour Sergio Leone.

A mon tour et plus tard, j’ai appris les échelles de plans en regardant avec lui les films cultes de Leone. Et aujourd’hui, mes étudiants savent que pendant mon module audiovisuel, Sergio Leone est un passage obligé !

Plus tard, fin des années 80’, j’avais un micro et une chaîne HIFI que papa a eu l’intelligence d’acheter. Mon bonheur ! Papa a acheté cette chaine car il voulait apprécier les disques vinyles. Il a en acheté alors qu’il était modeste. Mon frère faisait des économies et demandait à mon père de lui dénicher la meilleure chaîne qui existe sur le marché. Cette chaîne était vraiment un événement à la maison et dans le quartier même ! Nous étions les seules à en avoir. Chacun dépensait son argent à sa manière. Le nôtre, il est orienté dans ces choses-là : les disques vinyle, les postes de télévision, les postes radios, les livres, les magazines et les journaux.

La Ville Imaginaire de l'Enfance

Eloge de l’Utopie : un voyage personnel – Collection Mashup Culture® – Source : Pixabay

Ma tante avait un mari maçon. Chouette ! Je passais la voir pour qu’elle me donne discrètement la matière que je cherchais : de la faïence en miniature et avec des couleurs de la Méditerranée : du bleu turquoise, du vert, du magenta…

Et après ? Que faire avec cette mosaïque de faïences ? J’ai eu l’idée de construire une ville où se mélangeaient toutes les cultures. Inspirée par mes lectures, je voyageais mentalement en Asie, en Andalousie, en Occident, sans même y mettre les pieds. Fascinée par les architectures variées, j’ai donné vie à ma ville avec des matériaux simples, transformant l’ordinaire en extraordinaire.

J’étais fascinée par la beauté des formes architecturales de ces différentes cultures. La culture asiatique me paraissait douce avec ses formes fluides. J’avais une fascination pour la forme des toits plutôt pyramidales avec une grande finesse et élégance. Alors j’ai décidé de rendre hommage à cette douceur. Une certaine grandeur et sagesse aussi.

L’Occident pour ma vision de petite fille était réduit aux formes plutôt carrées ou rectangulaires ; synonyme de rigueur et de “modernité”. L’occident est dans mon imaginaire était aussi Victor Hugo mais surtout les récits de Galil Jibran, Michael Joseph Naimy et Maia Ziadé, Taha Hussein.

Khalil Jibran, Michael Joseph Naimy sont deux écrivains libanais qui ont migré aux États Unis. Je lisais avec une effervescence les écrits de tous ces écrivains connus sous l’appellation des écrivains de l’exil.

Michael Joseph Naimy est né le 17 octobre 1889 et mort le 28 février 1988 à Beyrouth. Il est l’une des figures de la littérature arabe moderne, poète et philosophe du 20ème siècle et reconnu pour sa pensée humaniste. Naimy a écrit un total de 99 livres. Il écrivait en langue russe, anglaise et arabe.

Comme son maître et ami Gibran Khalil Gibran, Naimy souhaitait que le monde arabe réalise une synthèse de la civilisation spirituelle de l’Orient et de la civilisation matérielle de l’Occident.

Quant à Khalil Gibran, il était pour moi le maître de la spiritualité par excellence et un artiste complet. Je me rappelle de ma 1ère rencontre avec Gibran, j’avais à peine 9 ans. Je me rappelle très bien de mes siestes d’été où je plongeais dans ses écrits, format poche, très facile à lire. J’empruntais les livres à la médiathèque de notre ville. J’ai toujours l’image de cette médiathèque avec ses étagères et le personnel qui y travaillaient. J’ai tout lu de Gibran et j’apprenais par cœur certains passages qui me fascinaient. Ce qui m’intéressait le plus c’est son récit de vie. Je ressentais une profonde mélancolie mais en même temps une grande philosophie qui me plaisait et m’apaisait.

J’ai tout lu en langue arabe littéraire bien évidemment. Il m’était impossible de saisir l’intensité de l’expression arabe dans les textes traduits de Gibran.

Le regard poétique apporté par ces écrivains sur le monde occidental a ajouté une touche spéciale à la construction de ma fameuse ville imaginaire. J’ai décidé de mettre des balcons aux étages de l’immeuble qui était de couleur bleu turquoise.

Sur le balcon s’installée une belle femme que j’ai modelée en puisant dans les scènes de films classiques : une femme baroque élégante avec un énorme chapeau. C’est de là, je crois, est née ma passion pour les chapeaux. Elle avait un éventail car dans ma petite ville, il faisait bon. Dans cette ville, pas de neige, ni de pluie. C’était la douceur du printemps, un éternel printemps. En bas de l’immeuble, un jardin fleuri et un jeune homme bien habillé en costume tenait une rose et orientait son regard vers cette jeune femme au balcon. À l’époque, je ne connaissais pas encore les récits des amoureux. L’amour était une donnée abstraite pour moi ; j’en suis certaine.

La partie Orientale de ma petite ville creusait dans mes images collectionnées sur la ville de Cordoue. J’aime la culture andalouse : la littérature et le chant. J’ai imaginé une architecture avec 2 couleurs : le marron et le blanc ; formes plutôt rondes, une fontaine au milieu et le son des ruisseaux qui irriguait mes rêves, des piliers raffinés pour soutenir la construction…. J’ai utilisé la craie, comme matériau, et sculpté avec une aiguille à coudre les piliers que j’ai installés dans la cour.

À l’entrée de la pièce centrale, il fallait indiquer qu’il y a de la vie ! Dans la cour, j’ai placé des chaises et une table, posé une tasse de café, des chaussures à l’entrée, sculpté des personnages avec de l’argile blanche que j’ai posées à l’intérieur assises les jambes croisées.

Dans cette ville, il y a de la musique et les gens sont heureux. Dans le jardin central, des hommes et des femmes qui apprécient le moment présent, des musiciens jouaient avec le violon ou l’Oud.

Dans ma ville, il y a aussi des policiers qui fluidifient la circulation, des voitures rouges, bleues au rond-point. Pas question d’avoir des embouteillages dans ma ville.

Évolution et Leçons de Vie

L’appropriation de l’objet ordinaire par l’enfant, la puissance de son imaginaire, sa capacité à inventer son bonheur à partir d’un quotidien ultra modeste sont une réalité qui me parle de plus en plus aujourd’hui et à laquelle je m’efforce à me connecter.

Ne jamais oublier que le bonheur est une recette simple et accessible, garder son âme d’enfant, continuer à porter un regard plein de gratitude, se satisfaire de peu, être capable de vivre avec peu : ce sont aujourd’hui et plus que jamais mon vrai luxe.

Vision Idéale du Monde et Imaginaire d’Adolescente

Plus tard, en 2020, j’ai participé à un exercice de coaching appelé le POSTER. L’objectif était de décrire ma vision idéale du monde. J’ai ainsi écrit : « Un monde où il n’y a pas de mensonge, seulement de la musique, du cinéma, des artistes dans la rue, du spectacle, des enfants. Un monde où l’on s’habille de manière élégante et surtout où l’on s’éclate de rire ».

En écrivant cette vision, jamais je n’ai pensé à ma ville que j’ai construite pendant ma jeunesse ! Et pourtant, le lien est très fort. C’est en rédigeant mon récit que j’ai découvert ce lien profond entre la représentation idéale du monde et mon imaginaire d’adolescente. L’insouciance, l’innocence, la pureté du regard, aucune blessure dans la construction de ma ville : pas de haine, pas d’anarchie, pas de conflits…

Entre les deux exercices, il y a au moins 35 ans d’écart ! Et pourtant, la vision reste intacte. Mes blessures d’adultes n’ont pas altéré ma vision profonde, enfantine, pure.

Résistance à l’Abondance et Retour à la Simplicité

J’ai compris, une fois adulte, pourquoi l’abondance ne me convient pas ; elle me rend malheureuse, pourquoi les hypermarchés (que j’ai découvert une fois arrivée à Paris dans les 90’)) sont presque mon ennemi, cumuler trop d’objets chez moi me stresse, et encombre mon esprit. Mon mari, installé à Paris depuis les années 70’, m’a vendu l’image d’un Paris où tout est accessible et toute l’année : c’est chouette, non ? Le comble de la modernité certes pour lui mais pour moi le comble du non-sens.

L’idée est en effet très tentante mais elle est absurde : si tout est accessible et toute l’année, plus rien n’a de la saveur ; je n’ai plus à attendre la saison des fraises, la saison des oranges, des tomates … tout me paraissait sans goût : aucun goût avec un concombre bien calibré enfermé dans son plastique ; moi j’avais l’habitude de manger des concombres qui ont des formes différentes, tordus… j’aime l’idée de choisir et de m’amuser avec les formes. Cela donne de la vie aux légumes.

Ma définition de la Créativité 

L’été c’était donc mon temps de création et d’exploration. Le moment de la sieste, je le passais à écrire et apprendre par cœur des citations que j’ai aimées particulièrement ; des citations de grands auteurs de la littérature arabe classique et de tenter d’apprendre par cœur un dictionnaire !

Je plongeais aussi dans l’archive de mon frère : tous ces journaux et surtout magazines égorgés de savoir. J’ai lu et surtout construit des dossiers thématiques. J’aimais aussi la méthode, intuitivement je ne pensais pas créer, imaginais sans me ressourcer. 

On appelle cela aujourd’hui : la veille. Cette notion que j’aime enseigner et qui est fondamentale durant toute ma vie.

Aujourd’hui, la boulimie du savoir et l’aspiration pour la structure guide mes démarches au quotidien.  

J’arrive donc à me définir comme une créatrice dans la méthode. Cette définition me fait plonger dans les origines d’une jeunesse saine et constructive. La méthode je l’ai aussi structurée avec mes travaux de thèse : j’étais dans mon élément. Et j’ai découvert avec mes études le structuralisme et la systémique. Une découverte qui m’a rassurée et m’a aidé à me connaître et à mettre des mots justes sur ma personnalité.

Cet article est rédigé par Faouzia REJEB, créatrice du projet Mashup Culture®️ et une éternelle utopique. L’utopie n’est pas une illusion, mais une construction mentale qui guide nos actions. Elle est la boussole de mon existence, pointant toujours vers un horizon meilleur. Cette utopie est ma force, mon abri, ma raison de continuer à rêver et à agir. Je dédie cet éloge à tous les utopistes qui, malgré les épreuves, continuent à rêver et à construire un monde meilleur. 

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